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La conquête des droits civiques pour les femmes françaises : lenteur et tourments.
04/12/18
Conférence de Jean-Charles Bonnet
le mardi 4 décembre 2018 à l'ESPE de l'académie de Lyon
« La conquête des droits civiques pour les femmes françaises : lenteur et tourments. »
L’année 2018 a été marquée, en France, par de grandes cérémonies dont celle de l’entrée de Simone Veil au Panthéon, le 1er juillet. Or, plus que la rescapée des camps de la mort, c’est la femme politique qui a été glorifiée : la courageuse ministre de la Santé de 1974 et la première présidente du Parlement européen. Etrange paradoxe que cette panthéonisation pour un pays qui a été l’un des derniers à accepter le droit de vote pour les femmes et qui leur a chichement accordé des responsabilités politiques de premier plan !
1/ Avant la Première Guerre Mondiale
Certes, au départ, une telle haine de la « gynécocratie » n’était pas propre à la France. Partout triomphait cette « infection virile avec ses millénaires de vanité, de possession et de peur de perdre » dont a parlé Romain Gary. On le constate depuis Homère jusqu’à Proudhon, sans oublier Saint Paul et tant d’autres. En France, deux Révolutions (1789 et 1848) n’avaient pas entamé (ou si peu…) cette phallocratie, en dépit de quelques voix courageuses comme celles de Condorcet ou de ce député breton qui osa affirmer que l’immortelle déclaration des droits de l’homme contenait une mortelle exclusion, celle des femmes.
Quant à Olympe de Gouges, elle ne fut pas condamnée à mort pour sa si riche déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, passée presque inaperçue en son temps, mais pour « avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe » (sic), en intervenant courageusement sur des sujets de société, en bataillant contre les Montagnards les plus farouches et en se proposant comme avocate de Louis XVI. Quelle audace pour une femme de 1793 quand on se souvient que la première avocate en France, Jeanne Chauvin, plaida en…1901 !
Dans le même temps, les femmes furent interdites, dès octobre 1793, de former et de participer à tout club et société populaire. Le rapporteur du texte - un avocat de Grenoble - expliquait que les femmes étaient « peu capables de conception haute et de méditation » et dénuées de la force morale et physique qu’exige le traitement des affaires politiques. Refrain maintes fois repris, par la suite, avec seulement quelques variantes !
Les révolutionnaires de 1848 mirent leurs pas dans ceux de leurs ainés, en dépit des protestations de féministes (entre autres Jeanne Deroin, Pauline Durand ou Eugénie Niboyet) qui osaient dire qu’en écartant les femmes (soit la moitié de la Nation) de toutes les responsabilités civiques, la démocratie était, de fait, une nouvelle tyrannie. Le courage de ces militantes nous parait d’autant plus digne d’éloges qu’elles se voyaient moquées dans des Revues et caricaturées dans des journaux satiriques.
Les combats qui suivirent pour la conquête des droits de la femme divisèrent les féministes pendant un demi-siècle. Pour les unes, le plus urgent c’était la révision du Code civil napoléonien, notamment son article 1124 qui stipulait que la femme mariée était incapable de « contracter », ce qui faisait d’elle une éternelle mineure. George Sand était la plus illustre de ces militantes, estimant même qu’il serait dangereux de confier le droit de vote aux femmes aussi longtemps qu’elles resteraient dans l’ombre de leur seigneur et maître de mari. D’autres, notamment socialistes, fixèrent plus tard pour priorité des priorités la conquête de droits socio-professionnels pour la femme.
Mais il y eut néanmoins de vraies « suffragistes », la plus coriace étant cette Hubertine Auclert qui, non contente de se présenter- bien qu’inéligible- à diverses élections, refusa, un temps, de payer ses impôts, arguant que celle qui ne vote pas ne paye pas. Hubertine Aubert voulait que les femmes ne dépendent que d’elles-mêmes et réclamait pour elles non seulement le droit de vote mais aussi la participation à l’exercice du pouvoir. Combat un peu isolé et de faible écho en comparaison de celui des actives et bruyantes « suffragettes » américaines ou anglaises que ne découragèrent pas une répression parfois assez brutale.
À noter toutefois que, à la veille de la Grande Guerre, un rassemblement en faveur du vote des femmes regroupa, près de la statue de Condorcet à Paris, plus de manifestants qu’espérés par ses organisatrices elles-mêmes : Séverine et Marguerite Durand.
2/ De 1919 à 1944
En mai 1919, la Chambre des députés, d’abord invitée à n’accorder le droit de vote qu’aux femmes de plus de trente ans et seulement pour des élections secondaires, se rallia à un amendement qui mettait les femmes sur un pied d’égalité avec les hommes. L’un des orateurs favorables à cette évolution, Louis Andrieux, précisait que « le vote accordé aux femmes (n’était) pas une récompense pour leurs services rendus pendant la guerre mais une justice, le rétablissement du principe démocratique. » À cela, il ajoutait une vérité un peu crue : comment refuser le droit de vote aux femmes alors que tous les hommes en bénéficiaient, y compris les illettrés, les idiots et les alcooliques ?
Mais le Sénat, plus puissant sous la IIIe République qu’aujourd’hui, après avoir fait traîner les choses jusqu’à l’automne 1922, rejeta ce texte et trouva, par la suite, des prétextes peu glorieux pour en éluder l’examen. Le « non » sénatorial était largement dû au refus du groupe de la Gauche radicale, émanation du parti radical-socialiste. Ses élus craignaient, comme Clémenceau dès la fin du XIXe siècle, que le vote des femmes soit largement influencé par l’Eglise catholique, longtemps hostile, et parfois avec obstination, à la République.
Toutefois, tous les radicaux ne partageaient pas cet avis, notamment des Lyonnais comme Henri Gorjus ou Justin Godard. Et l’une des personnalités les plus engagées dans le combat en faveur du droit de vote des femmes (Cécile Brunschvicg, animatrice de L’Union française pour le suffrage des femmes) était membre du parti radical.
En fait, la lecture du compte rendu des débats de novembre 1922 montre que l’anticléricalisme n’était pas la seule explication du refus sénatorial. On retrouve dans le discours de l’un des plus farouches opposants au vote des femmes, François Labrousse, sénateur de la Corrèze, les ingrédients de la vielle « infection virile » dénoncée par Romain Gary : la vanité et la peur de perdre. Selon Labrousse, donner aux femmes le droit d’élire et d’être élues se traduirait pour les hommes par la fin des « enchantements » que leur procurent leurs compagnes ! Plus gravement, on assisterait à « une diminution de l’autorité maritale et paternelle, » ce qui reviendrait à confier à la femme « la direction sociale et morale de la famille. » Ce serait, disait Labrousse, sous les applaudissements d’une majorité de ses pairs, « une grave erreur. »
Face à l’obstination sénatoriale, deux associations (l’une plus laïque que l’autre) précédèrent La femme nouvelle créée par Louise Weiss, la plus en vue des Suffragettes françaises des années trente. Elle adopta, sur un mode mineur, la tactique des militantes anglosaxonnes : manifestations intempestives et rassemblements à la Mutualité, avec vedettes du spectacle et héroïnes de l’aviation. Malgré cela, le front populaire ne parvint pas à donner aux femmes le droit de vote. Mais trois femmes figurèrent - comme sous-secrétaires d’Etat - dans le gouvernement Blum. Encore un paradoxe ! Elles étaient ministres sans être ni électrices ni éligibles et…toujours mineures.
3/ Depuis 1944
Dans le temps suspendu entre deux Républiques, une ordonnance gaullienne (avril 1944) donna enfin aux femmes les mêmes droits civiques que les hommes. Premier vote en 1945. L’examen des sondages sortis des urnes montre que les femmes votèrent, au départ, plus à droite que les hommes (notamment pour de Gaulle aux présidentielles de 1965) puis que l’équilibre s’établit progressivement.
Electrices, les Françaises furent longtemps écartées des gouvernements, y compris de celui de Pierre Mendès-France, pourtant novateur dans son mode de fonctionnement. Il fallut attendre 1974 pour que deux femmes entrent au gouvernement avec des missions spécifiquement destinées à leurs concitoyennes. Simone Veil pour mener le combat en faveur de l’IVG et Françoise Giroud pour l’égalité civile des sexes. On sait quel courage il fallut à la première pour affronter des députés conservateurs, parfois à la limite de l’hystérie et pour supporter, au quotidien, injures et menaces. Partie à Bruxelles, elle laissa à une autre femme, Monique Pelletier, le soin de parachever le travail qu’elle avait commencé.
Les retombées de l’activité ministérielle de Françoise Giroud furent moins évidentes. Une bonne partie de ses « cent propositions » restèrent lettres mortes. Mais de son passage au gouvernement la Secrétaire d’Etat tira un livre au titre évocateur (La comédie du pouvoir) ainsi que quelques fortes convictions comme celle-ci : « L’égalité entre les hommes et les femmes aura progressé en France quand on nommera à un poste politique une femme aussi incompétente qu’un homme. »
Le rayonnement de Simone Veil occulta la triste réalité : cinquante ans après la possibilité donnée aux femmes d’être élues, on comptait moins de dix pour cent d’entre elles dans les deux assemblées. Antoinette Foulques n’hésitait pas à parler d’un véritable « impouvoir des femmes. »
On dut, en juin 2000, recourir à la loi pour arriver progressivement à la parité. Pourquoi progressivement ? Parce que certains partis politiques préférèrent payer des pénalités plutôt que de laisser aux femmes les places prévues par la loi.
Il fallut encore attendre douze ans pour qu’un gouvernement (celui de J.-M. Ayrault) compte le même nombre de femmes que d’hommes. En son sein, c’est à nouveau une femme qui fut chargée de la mission à plus haut risque : faire adopter le mariage pour tous ! Christiane Taubira essuya, alors, des torrents d’injures, comme l’avait fait, en son temps, Simone Veil. Le courage de l’une et de l’autre justifie le propos de Françoise Giroud « Les vertus que l’on exige d’une femme au pouvoir, on se demande combien d’hommes seraient capables de les montrer. »
Concluons ! Les progrès, sur un siècle et demi, sont incontestables : des femmes françaises occupent aujourd’hui des postes qui paraissaient inaccessibles, il y a quelques décennies encore : direction du FMI, mairie de Paris, ministères régaliens et même, ironie de l’Histoire, la présidence de la FNSEA, de ce syndicat agricole qui avait clamé son indignation, en 1981, quand on avait osé nommer une femme ministre de l’Agriculture !
Mais aucune femme n’a été jusqu’à ce jour, présidente ni du Sénat ni de l’Assemblée nationale. Et une seule (Edith Cresson) a été brièvement Premier Ministre, vigoureusement malmenée par ses opposants voire par ses prétendus amis politiques. Surtout, presque toutes celles qui ont occupé des postes de pouvoir confessent avoir eu le sentiment d’être considérées comme des « intruses ». Quand un homme – souligne l’une d’entre elles - arrive dans une nouvelle fonction, on lui accorde généralement le bénéfice du doute, alors que, pour une femme, c’est presque à coup sûr… la certitude du doute.
Preuve que les lois seules ne suffisent pas à changer d’ancestrales arrière-pensées ni la toujours vivace « peur de perdre » des hommes…
Jean-Charles Bonnet
Photos : internet